La fiscalité peut devenir un vrai casse-tête pour plusieurs entreprises. C'est pourquoi bon nombre d'entre elles choisissent de s'entourer de professionnels pour gérer la comptabilité, les obligations fiscales et les déclarations de taxes. Mais que se passe-t-il lorsqu'une déclaration préparée par un professionnel contient une erreur importante, entraînant une nouvelle cotisation de la part de Revenu Québec ? Qui en porte la responsabilité ? Et surtout, jusqu'à quand peut-on être cotisé ?
Pour mieux illustrer ces questions, suivons le cas fictif de Bloc & Brique inc., une entreprise familiale de maçons représentée par son dirigeant, M. Pierre.
Note : Comme la TPS et la TVQ sont administrées par Revenu Québec au sein de la province, nous ferons uniquement référence à Revenu Québec comme autorité fiscale pertinente dans un but d’allègement.
Bloc & Brique inc. : une erreur de taxes qui refait surface
Bloc & Brique inc. est inscrite aux fichiers de la TPS/TVQ avec une période de déclaration trimestrielle. Pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2019, l'entreprise devait transmettre sa déclaration à Revenu Québec au plus tard le 31 octobre 2019. Comme toujours, c'est le bureau Mortier CPA inc. qui prépare les déclarations.
La déclaration a finalement été produite le 12 novembre 2019, soit 12 jours après la date limite. Aucun problème apparent à ce moment. Mais en septembre 2025, M. Pierre reçoit un avis de nouvelle cotisation (la « Nouvelle cotisation ») pour cette même période, soit près de six ans plus tard. Revenu Québec affirme qu'une erreur de 10 000 $ en crédits de taxe sur les intrants (CTI/RTI) s'est glissée dans la déclaration produite le 12 novembre 2019, au motif que M. Pierre a été négligent dans la préparation de sa déclaration et la demande de CTI/RTI. Mais est-ce vraiment le cas ?
Le cadre juridique : le délai normal pour une nouvelle cotisation
En vertu de la Loi[1] sur la taxe d'accise, Revenu Québec peut émettre une nouvelle cotisation au plus tard quatre (4) ans suivant la plus tardive des dates suivantes :
- le jour où la personne était tenue de produire une déclaration de taxes; ou
- du jour de la production de ladite déclaration.
Pendant cette période de quatre ans (la « Période »), toute nouvelle cotisation émise par Revenu Québec est présumée valide, et c’est l’entreprise qui aura le fardeau de démontrer que la cotisation n’est pas fondée.
Dans le cas de Bloc & Brique inc., la déclaration ayant été produite le 12 novembre 2019, la Période prenait fin le 12 novembre 2023. Or, la Nouvelle cotisation a été émise après cette date. La demande de cotisation de Revenu Québec n’est donc pas valide ? Pas si vite… une exception existe!
L'exception : négligence ou omission volontaire
La Loi prévoit une exception importante : Revenu Québec peut cotiser au-delà de la Période si l'entreprise a erronément présenté sa situation fiscale, notamment par négligence, inattention ou omission volontaire.
Dans un tel cas, le fardeau de preuve est renversé : ce n'est plus au contribuable de contester la cotisation, mais à Revenu Québec de prouver que l'erreur découle, par exemple, d'une déclaration erronée due à dela négligence de la part de M. Pierre, le dirigeant de Bloc & Brique inc.
Mais que signifie vraiment la "négligence" dans ce contexte ?
Diligence raisonnable : retenir les services d’un professionnel suffit-il ?
La diligence raisonnable, aux yeux de Revenu Québec, représente le niveau de soin qu'une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances, prendrait pour s’assurer de respecter ses obligations fiscales. Une personne diligente se renseigne, pose des gestes pour tenter de se conformer à la loi, mais n’a pas besoin d’être infaillible[2].
Retenir les services d’un professionnel est un bon indicateur de diligence, mais ne constitue pas une défense absolue. Le comportement du dirigeant, son implication et la rigueur de ses vérifications influenceront certainement l’analyse des tribunaux.
Selon le contexte, les tribunaux ont parfois considéré que l’entreprise avait fait preuve de suffisamment de diligence en faisant confiance à son professionnel comptable. La confiance peut donc avoir une influence positive sur le degré de diligence raisonnable.
Voici deux scénarios illustrant bien cette nuance, toujours avec Bloc & Brique inc. :
Scénario 1 – Un dirigeant prudent
L’année 2019 a été exceptionnelle : un contrat de plus de 20 M$ est signé. M. Pierre consulte ses contrôleurs et son comptable, met en place un système de suivi des CTI/RTI et révise la déclaration produite par Mortier CPA inc. Malgré l’erreur de 10 000 $, la déclaration était tellement inhabituelle que M. Pierre n’a pu la détecter. Cette attitude pourrait être jugée diligente.
Scénario 2 – Un dirigeant désengagé
Même contexte, mais M. Pierre part en croisière, laissant le suivi à Mortier CPA inc. Distraitement, il approuve la déclaration sans en prendre réellement connaissance. Ce comportement pourrait être jugé négligent, et justifier une Nouvelle cotisation, après la Période.
Jurisprudence pertinente
Pour mieux comprendre l'interprétation des tribunaux en matière de diligence raisonnable, voici trois décisions marquantes :
Prima Properties[3]c. Revenu Québec (2020)
Dans cette affaire, les dirigeants de l’entreprise avaient fourni toute l’information pertinente aux comptables et avaient pris rendez-vous avec ces derniers, mais n’avaient pas révisé les déclarations en question, lesquelles contenaient une erreur. Même si une erreur s’est glissée dans la déclaration, le tribunal a jugé que les dirigeants avaient agi avec prudence et transparence, puisqu’on ne pouvait pas reprocher aux dirigeants de ne pas avoir ciblé un impact fiscal précis découlant d’une transaction, laquelle avait généré ladite erreur. Revenu Québec n’a pas réussi à prouver la négligence des dirigeants, et la nouvelle cotisation a été annulée.
Bondfield Construction Company Limited c. Canada (2020 CAF 139)
Le tribunal a évalué le comportement des dirigeants de l’entreprise qui, malgré des erreurs, s’étaient entourés de conseillers fiscaux expérimentés et avaient mis en place des mécanismes de révision de ses déclarations. Le tribunal a conclu que les dirigeants de l’entreprise avaient démontré un comportement responsable, et qu’ils n’avaient pas fait preuve de négligence. La nouvelle cotisation avait donc été annulée.
P.Q. Properties Ltd. c. Canada (2012 CCI 92)
À l’inverse, cette affaire démontre un exemple clair de négligence. Le dirigeant avait délégué sans aucun suivi, signé des documents sans en avoir fait la lecture et n’avait aucun système de vérification en place au sein de l’entreprise. Le tribunal a jugé que cette attitude témoignait d’un manque flagrant de diligence, justifiant une nouvelle cotisation par les autorités au-delà de la Période.
Ces cas montrent que la diligence raisonnable, qui permet de contrer une allégation de négligence de la part de Revenu Québec pour justifier une nouvelle cotisation après la Période, est une question de faits. Chaque situation doit être analysée en fonction de l'implication réelle du dirigeant dans son entreprise.
Conclusion
Le cas de Bloc & Brique inc. illustre bien la question centrale : mandater un professionnel ne suffit pas toujours à démontrer l’absence de négligence de la part d’un dirigeant. Pour qu'une entreprise puisse prétendre avoir agi avec diligence raisonnable, son dirigeant doit faire preuve d'une implication minimale, mais sans nécessairement tout connaître de la Loi.
À défaut, Revenu Québec pourrait émettre une nouvelle cotisation même au-delà du délai de quatre ans.
Pour vous assurer de respecter vos obligations fiscales et d’agir avec diligence dans vos démarches, n’hésitez pas à faire appel à notre équipe.
Cet article vise à fournir de l'information juridiquegénérale. Il ne remplace pas un avis juridique. Le cas de Bloc & Briqueinc. est fictif et illustratif.
[1]Paragraphe 298(1) de la Loi sur la taxe d’accise et article 25 de la Loisur l’administration fiscale.
[2] Wong (E) v. Canada, [1996] G.S.T.C. 73-1 (C.C.I.).
[3] PrimaProperties (92) Ltd. c. Sa Majesté la Reine, 2019 CCI 4.
